[Mince, moi qui voulais faire une entrée discrète
Sauf que l’ordre est de lever le pont-levis et qu’il fait déjà nuit….:/ Je vais faire comme si tu était sur la courtine, d’accord ? ]
L’allure lente des chevaux permettait à Guenièvre d’utiliser la faculté spécifique aux femmes de faire plusieurs choses à la fois, comme songer, badiner et écarter les branches du passage.
Peu à peu, la forêt s’éclaircissait, les fourrés devenaient moins touffus, le scintillement des étoiles perçaient de-ci de-là à travers le feuillage, tout semblait reprendre vie, laissant derrière eux l’étouffante étreinte des âges… Et Guenièvre se prit même à penser que le déhanchement de sa monture n’était autre qu’une petite danse joyeuse.
On s’approcha de l’orée, et le bleu profond caractéristique de la nuit prenait enfin toute son ampleur. La reine jeta un petit coup d’œil à la demoiselle toute jeune qui chevauchait à ses côtés. Elle s’étonna de son air juvénile. Avait-elle des parents ? Comment pouvaient-ils la laisser gambader seule… et apparemment à travers les contrées, pour qu’elle lui demande quel pays foulait-elle.
Guenièvre pointa l’horizon dégagé à présent, le vent en poupe.
-La petite bosse là bas, c’est Camelot.Et elle talonna sa jument qui prit le galop en descendant la vallée.
Peu de temps plus tard, la reine ralentit sa monture essoufflée, alors que les hauts murs de la Cité enflait à vue d’œil, tout blanc, comme une insolence, un pied de nez, un défit à tous ceux qui voudraient l’attaquer. Nous sommes si forts que nous n’avons pas besoin de nous cacher.
Là, petit point aux pieds des hautes tours, en pleine nuit, Guenièvre sentait tout le poids de ces pierres sur ses épaules comme une menace, sentiment qu’elle avait appris à taire avec le temps.
Les deux chevaux soufflaient comme des bœufs, alors qu’on contournait lentement le fossé pour trouver enfin le pont levis.
Mais lorsqu’il fut en vue… Oh, surprise ! Il était levé. Cela n’était pas arrivé depuis bien longtemps, même durant la nuit.
La reine continua sa route jusqu’au point où le pont aurait dû être, jetant un œil d’incompréhension à la fille à la chouette.
Puis elle héla une des sentinelles (plus nombreuses que d’ordinaire) qui faisait sa ronde de son pas monotone, caché puis révélé par les créneaux des courtines.
-Oh là, Oh !Le garde daigna baisser les yeux.
« Navré mes dames, ordre du Roy. Revenez au matin. »-Ah oui ? Allez me le chercher, le Roy, on va bien voir s’il me refuse le passage !Le garde sourit sous son casque sans oser se moquer ouvertement de la dame qui laissait ainsi éclater sa colère… comme si on allait chercher le Souverain pour une petite bourgeoise.
« Désolé »Et de reprendre sa ronde comme si de rien était.
Guenièvre fumait. On allait refuser de laisser entrer la reine en son château ! C’était la meilleure !
Trop hystérique, trop rageante, pour simplement penser qu’il suffirait de décliner son identité _calmement _ : elle fulminait. C’était la troisième insulte en une soirée ! C’en était trop !
Apres les faisans et l’homme des cavernes, voilà le coup du pont-levis !
Elle talonna son cheval sans plus s’occuper de son accompagnatrice d’un soir, et fit quelques aller et retour au galop, ne se souciant pas non plus de ménager son cheval en nage.
Enfin, lorsqu’elle se sentit plus calme, elle revint jusqu’à l’endroit où elle avait laissé Gaéliane.
-Sentinelle, vous allez ouvrir à votre Reine !Cette fois le garde rit ouvertement. La reine, dans cet apanage ? Ca se saurait !
C’est là qu’arriva le sauveur. Enfin, arriva. Il devait être là depuis un petit moment, mais il venait tout juste de se réveiller, se penchant pour mieux les apercevoir.
"Ma seigneurie, ma reine... "Guenièvre n’écouta pas la suite et fit une moue triomphante au garde qui pâlissait à vue d’œil, même en pleine nuit et à la distance qu’il était des demoiselles.
Comme par magie, le pont-levis s’abaissa. La reine n’oublia pas de remercier d’un signe de tête sir Tor et de demander son nom à la sentinelle récalcitrante.
Elle n’avait fait que son boulot ? Et alors ? Ah ! Gael Loc, bonsoir, et un joli sourire hypocrite avant de s’éloigner le port fier… Peut-être Loc ne serait plus garde demain matin…